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Une nouvelle approche théorique révèle l’émergence de structures autoorganisées complexes dans les matériaux commutables

Au GEMaC, les chercheurs ont développé un modèle électro-élastique effectif pour simuler les transitions de phases dans des cristaux à transition de spin. La résolution de ce modèle est 50 fois plus rapide que le modèle traditionnellement utilisé, ce qui leur a permis de révéler une grande variété de phénomènes complexes.

Les cristaux à transition de spin sont des matériaux dont l’état de spin peut être modifié sous l'effet d'une contrainte extérieure (température, lumière, champ magnétique, champ électrique…). De plus, le changement d’état de spin est associé à une modification du volume. Cette interaction entre l’état électronique (l’état de spin) et l’état mécanique élastique (la déformation du cristal) peut alors donner lieu à une large gamme de comportements complexes lors de leurs transitions de phases. Leurs propriétés les rendent intéressants pour de nombreux domaines : optique, spintronique, magnétisme, affichage, détection, etc. et pourraient mener à la réalisation de mémoires compactes à haute densité.

Ces matériaux sont habituellement décrits par des modèles électro-élastiques. Comme leur nom l’indique, ces modèles combinent une description de l’état électronique et de l’état mécanique élastique à l’échelle microscopique. Ces modèles peuvent alors en principe être utilisés pour décrire l’état d’un cristal à plus large échelle. Cependant, en pratique, l’utilisation de tels modèles est limitée à des cristaux de très petite taille car le coût en temps de simulation devient rapidement prohibitif lorsque la taille du cristal augmente.

En tirant parti de la séparation de deux échelles de temps (spin et élasticité), les chercheurs du GEMaC ont abouti à un nouveau modèle, le modèle électro-élastique homogène. C’est une approche dite « effective » car les phénomènes élastiques sont pris en compte dans un modèle de champ moyen où la déformation se déploie sur tout le réseau cristallin, donc avec des interactions à longue portée. La relaxation mécanique devient ainsi analytiquement soluble. Le formalisme obtenu est alors analogue à celui d’un modèle bien connu en magnétisme : le modèle d’Ising. Ce dernier permet de décrire un grand nombre de phénomènes magnétiques à partir de l’interaction entre sites voisins. Cependant, dans le cas du modèle électro-élastique homogène, les interactions entre sites voisins sont de nature élastique et non magnétique. Ce nouveau modèle a permis d’accélérer les calculs de presque deux ordres de grandeur !

Grâce à cette importante accélération, les chercheurs ont pu montrer que les cristaux à transition de spin considérés mettaient en jeu une compétition entre interactions antiferromagnétiques à courte portée et ferromagnétiques à longue portée. Ces interactions antagonistes sont à l’origine de phénomènes de frustration du réseau, qui font émerger des structures de spin auto-organisées complexes lorsque la température varie. Ainsi, les auteurs ont révélé des états intermédiaires antiferromagnétiques qui présentent des structures microscopiques en forme d’échiquiers ou de rubans filiformes, selon la direction prédominante des interactions. Les états intermédiaires peuvent dans certaines circonstances survivre jusqu’à 0 K. Le diagramme de phase, qui répertorie un grand nombre d’états du système, présente une bifurcation, signature bien connue des systèmes dynamiques complexes.

De plus, la mise en compétition des interactions axiales et diagonales entre proches voisins – ajoutant de la frustration à la frustration – donne lieu à l’observation de phénomènes mêlant désordre, fluctuations et complexité conduisant à l’apparition de multiples plateaux à la transition, de réseaux d’îlots, de labyrinthes… Les états du système sont alors extrêmement variés et hautement dégénérés. Ces travaux, publiés dans Journal of Applied Physics, ouvrent la voie à l’exploration de nouvelles phases de la matière dans les matériaux moléculaires, où des interactions à plus longue portée pourraient aboutir à des structures de plus en plus complexes ainsi qu’à l’émergence de phénomènes non-linéaires insoupçonnés, comme des structures dissipatives. La compréhension de ces phénomènes pourra ouvrir la voie à la réalisation de nouveaux dispositifs miniaturisés à l’extrême, tels que des mémoires à haute densité.

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Figure : en haut, exemple de réseau 2D à transition de spin, et zoom sur un site interagissant avec ses proches voisins.
En bas, exemple de cycle thermique révélant deux états de type « ferromagnétique » (à haute et basse température) et un état intermédiaire de type « antiferromagnétique ».

Pour en savoir plus :

M. Ndiaye, Y. Singh, H. Fourati, M. Sy, B. Lo, K. Boukheddaden,
"Isomorphism between the electro-elastic modeling of the spin transition and Ising-like model with competing interactions: Elastic generation of self-organized spin states",
Journal of Applied Physics 129, 153901 (2021)

Contact :
Kamel Boukheddaden